La logique contextuelle et les autres formalismes

1. Introduction

La logique contextuelle Lc est un formalisme logique de la famille de dicto . Proposée par Arnaud Kohler ([Koh95]), elle présente une sémantique non monotone pour modéliser et exploiter, en respectant les règles de production syntaxique de la logique propositionnelle, des informations incomplètes, incohérentes ou modales dans le cadre de la révision des croyances.

Le terme a aussi été employé par Nicolas Gauvrit pour nommer un modèle de logique locale permettant d'élucider certains paradoxes de la logique naturelle [Gau01], et par Yvon Gauthier pour proposer une analogie avec les logiques internes [Gau91].

La logique contextuelle ouvre des questions en mathématiques : de nombreux formalismes logiques ont été développés pour pallier à l'insuffisance supposée de la logique classique à modéliser des informations incohérentes, incomplètes, paradoxales ou modales. Lc ouvre la porte à la recherche d'un formalisme fédérateur de l'ensemble des langages logiques.

2. La notion de non monotonie

Un langage L est dit classique si, et seulement si, il vérifie la propriété suivante : quels que soient F1 et F2 des ensembles de formules bien formées de L, et f une formule bien formée de L, l'interprétation sémantique de f dans F1 est égale à l'interprétation sémantique de f dans {F1,F2}. C'est le cas par exemple de la logique propositionnelle.

Soit f une formule bien formée de WLp. Pour Lc, WLp = WLc0. La relation entre un ensemble F de formules propositionnelles et un ensemble E de formules contextuelles est donnée par :

cPLc1 tel que : FLp f si et seulement si {E,c} ⊨Lp f

Cette traduction exprime le fait que la logique propositionnelle ne modélise qu'un contexte à la fois.

Les formalismes monotones peuvent modéliser les raisonnement strictement rigoureux (comme les raisonnements mathématiques par exemple), mais pas les raisonnements dits de sens commun : ceux-ci s'appuient à un chaque instant sur des informations incomplètes, voir même éventuellement fausses ou incohérentes, que l'arrivée d'une nouvelle information F2 peut complètement remettre en question.

Les formalismes non classiques sont apparus pour tenter de résoudre cette difficulté. Ils induisent une nouvelle propriété : L est dit non monotone si, et seulement si, il existe F1 et F2 des ensembles de formules bien formées de L, et f une formule bien formée de L tels que l'interprétation sémantique de f dans F1 est différente de l'interprétation sémantique de f dans {F1,F2}.

La logique contextuelle a la particularité suivante :

Des comparaisons avec d'autres formalismes non monotones sont présentés succintement ci-dessous.

3. La circonscription

Proposée par J. Mc Carthy, l'idée de la circonscription est de traduire une règle avec exception(s) par une expression de la forme :

(a ∧ ¬anormal) → b

Son sens intuitif est : Si a est vraie, et qu'on n'est pas dans un cas anormal, alors b est vraie. Elle est, classiquement, accompagnée par une (des) formule(s) qui détermine(nt) ce qui relève de l'anormalité, de la forme :

canormal

pour Si c est vraie, alors on est dans un cas anormal. La proposition de J. Mc Carthy est de calculer l'extension qui minimise le nombre d'anormalités, c'est à dire qui contient "le moins de" littéraux positifs anormaux.

Dans Lc, ces énoncés peuvent se traduire par les formules contextuelles suivantes :

p1→(ab) pour p1PLc1
p2→(c→¬p1) pour p2PLc2

Les extensions au sens de Mc Carthy sont les croyances de WLc0 produites par les contextes possibles maximaux qui contiennent tous les p2. La minimalité du nombre d'anormalités est portée par la maximisation du nombre de p1.

Il est difficile d'établir dans quelle mesure cette traduction est adéquate et complète, la proposition anormal disparaissant du langage.

4. La théorie des défauts

Proposée par R. Reiter, une théorie avec défauts T = (F , D) est composée d'un ensemble FWLp, et d'un ensemble D de règles de défauts, qui ont comme forme :

(a : b / c) pour a,b,cWLp

Le sens intuitif de cette expression est : Si a est vraie, et si b n'est pas contradictoire avec ce qui est vraie, alors c est vraie. Le but est, à partir d'une théorie avec défauts, de générer une extension comprenant, en plus de l'ensemble initial F, de nouvelles informations obtenues par l'application des règles de défauts.

Au sens de R. Reiter, E est une extension de T si, et seulement si, E = ⋃iN Ei, tel que :

E0 = F
Ei+1 = Th ( Ei ) ⋃ c tel que (a : b / c) ∈ D et aEi et ¬bE

où Th ( Ei ) désigne l'ensemble des théorèmes déduits de façon monotone (c'est à dire par les lois d'inférences classiques) à partir de Ei.

Dans Lc, soit p01PLc1 tel que p01F. Pour chaque règle de défauts (a : b / c), il existe un couple (p1PLc1 , p2PLc2) tel que :

p1 → (ac)
p2 → ((¬a ∨ ¬b ∨ ¬c) → ¬p1)

Les extensions au sens de R. Reiter sont les croyances de WLc0 produites par les contextes possibles maximaux qui contiennent p01 et tous les p2.

Cette traduction est complète mais non adéquate : elle ajoute la formule ac à certaines extensions de Reiter qui ne la contiennent pas. Pour y parvenir, il faut retirer cette formule des extensions qui ne vérifient pas ¬a ou c.

5. Les logiques modales

Le langage des logiques modales Lm est celui de la logique propositionnelle, étendu à au moins un connecteur monadique, classiquement noté ◻. L'ensemble des formules bien formées de Lm est noté WLm.

Lorsqu'il y a plusieurs connecteurs modaux, on parle de formalisme multi-modal. Le rapprochement avec Lc présenté ci-dessous est limité au périmètre des logiques mono-modales dites aléthiques, pour lesquelles ◻ caractérise une notion de vraisemblance : ◻a exprime que a est nécessaire (et donc son dual ¬◻¬a, noté ◇a, que a est possible) par exemple.

La sémantique de Kripke est considérée comme la sémantique la plus complète et la plus satisfaisante pour les logiques modales. Un P-modèle de Kripke est un triplet (W , I , R) tel que :

I respecte les règles suivantes :

Ainsi, dans une approche aléthique, une formule est nécessairement vraie dans un monde si, et seulement si, tous les mondes auxquels ce dernier accède contiennent cette formule.

Soit F un ensemble de formules modales. Sa traduction en un ensemble E de formules contextuelles peut être :

L'objectif de cette traduction est d'exprimer chaque monde possible de Kripke comme un contexte possible dans Lc. Les écarts entre les rangs des contextes modélisent la relation d'accessibilité entre les mondes.

Cette traduction est adéquate mais non complète : les formules possibles ne sont identifiables que si leur négation est aussi possible. Dans le cas contraire, elles sont confondues avec les formules nécessaires, ce qui ne permet pas de capturer complètement la relation d'accessibilité.